Article publié dans le Bulletin Officiel du Touring-Club de Belgique le 1 novembre 1922.

Le village de Watervliet
et son église monumentale

Le présent article pourrait être intitulé : "La Flandre inconnue".  Il est consacré à un village situé au diable vauvert, en pleine région poldérienne, loin des chemins battus, aux confins du pays. Son nom n'évoque aucun souvenir historique marquant.

Les touristes l'ignorent et seuls quelques amateurs d'art connaissent les trésors artistiques inestimables qui y sont conservés jalousement.

Je me hâte de le dire, je n'ai pas à mon actif la découverte de ce "centre d'art" méconnu.  S'il m'a été révélé, c'est grâce aux ramifications innombrables du Touring Club, qui compte dans ce village perdu, en la personne de M. Fr. Sonneville, curé de la paroisse, un sociétaire très dévoué, soucieux de faire connaître les beautés de son pays.

* * *

Watervliet est desservi par le chemin de fer vicinal qui relie la paisible ville d'Eecloo à la frontière hollandaise.

Cette ligne traverse une série de hameaux rustiques, dont les masures blanches à volets verts, bâtis en retrait dans la verdure, composent autant de petits tableaux séduisants.  Partout se succèdent des champs éperdument plats, coupés de fossés et ourlés de haies de saules et de coudriers.  Ça et là, on voit une ferme de quelque importance, groupant des dépendances au toit caparaçonné de paille.  C'est le Meetjesland.

Un beau canal de dérivation (le canal Léopold, de Selzaete à Heyst) coupe ce pays de cultures.  Le canal franchi, on se trouve dans le pays des polders, partout labouré avec succès et que le travail opiniâtre des hommes a soustrait aux envahissements de la mer voisine.  Ce pays tout entier est protégé par des digues, qui doivent être surveillées et entretenues sans cesse.

Le tram traverse Watervliet et s'arrête à la place, appelée de Stee.

Les seigneurs du village sont connus à partir du début du XIIIe siècle.  Une charte, octroyée à la localité en 1258 par Marguerite et Guy de Dampierre, prouve que le village avait acquis une certaine importance à cette époque.

Malheureusement, le sort lui réserva une navrante infortune : le 16 novembre 1377, une digue mal entretenue se rompit à Biervliet et toute la région environnante fut envahie par les eaux marines. Watervliet fut détruit de fond en comble et cessa d'exister pendant plus d'un siècle !  Maintes localités voisines, Bouchaute, Bassevelde, Saint-Jean-in-Eremo, etc., eurent la même destinée. Cette catastrophe occasionna des pertes considérables en vies humaines et en biens.

Ce ne fut qu'en 1497, sous le règne de Philippe le Beau, qu'on s'occupa sérieusement d'assécher les terres inondées.  Les schorres compris entre Bouchaute et Ysendyke furent pourvues de digues nouvelles.

A Watervliet, l'entreprise fut assurée par Jérôme Lauweryn ou Laurin, conseiller et trésorier des domaines et finances. Par une charte de l'an 1500, et moyennant une rente annuelle de 50 livres parisis, le souverain lui céda la seigneurie de Watervliet, alors fief du comté, appelé 's Gravengoed. Le nom de Watervliet fut restitué à cette terre, à laquelle la justice aux trois degrés demeura annexée.

Un premier octroi avait été réservé en 1497 à Paul et Guy de Baenst, dont les biens et les droits furent acquis par Lauweryn.

Celui-ci fonda le village existant de nos jours.  Un octroi de 1504 l'autorisa à "fonder, ériger et construire une ville fermée" dans le polder Saint-Christophe, endigué trois ou quatre ans auparavant par lui "et ses consors".

A titre de dédommagement, la charte lui concède toute une série de droits seigneuriaux et autres, de même qu'elle accorde maintes franchises aux habitants de la "ville" de Watervliet. (1)

Après le décès du fondateur du nouveau village de Watervliet, ses biens passèrent à son fils Matthieu, puis à ses petits-fils Guy et Marc, connus tous deux comme collectionneurs et protecteurs des artistes.  Par voie d'alliances, la seigneurie devint l'apanage des Lebœuf, puis des de Massiet, et enfin de Jean Veranneman, dernier seigneur de Watervliet, mort en 1808.

Le château seigneurial a disparu depuis près d'un siècle.  Les armoiries des Lauweryn : "de gueules, fascé de cinq pièces, ondulées d'argent; au chef une étoile à dextre, un croissant à senestre, en pointe une fleur de lis; le tout d'or" sont devenues celles de la commune.  Elles rappellent la résurrection du village, ainsi que sa situation ancienne, le long d'un chenal qui le mettait en communication avec la mer par une voie navigable.

* * *

Jérôme Lauweryn, le seigneur bienfaisant, ne se borna pas à créer le nouveau Watervliet : il couronna son œuvre en dotant cette localité de l'église somptueuse qui en est le joyau.

Cet édifice dresse au fond de la place sa haute façade à pignon triangulaire.  C'est une construction en briques, de style gothique tertiaire, et qui a été bâtie vers 1505.

Ce temple, faut-il le dire, a subi maintes infortunes au cours des siècles.  Un incendie l'endommagea en partie, l'an 1757.  Il n'a pas échappé au vandalisme inconscient des modernisateurs du XVIIe et du XVIIIe siècle.  Toutefois, il a encore belle apparence, avec ses murailles patinées par le temps.

L'église a, il est vrai, été l'objet, il y a quelques années, d'une intelligente restauration, que dirigea feu l'architecte gantois Aug. Van Assche (1891-1893).  La dépense atteignit environ 80,000 francs.

L'entreprise comprenait la construction d'une tour monumentale, estimée à 38,500 francs et qu'on érigea en hors-d'œuvre.  La tour primitive avait disparu depuis longtemps et avait été remplacée, au cours du siècle dernier, par une tourelle à campanile peu décorative.  On ne peut faire ce reproche à la tour nouvelle, qui superpose ses briques rouges à côté des vieilles constructions aux colorations ternies et sobres.

Une pierre enchâssée dans la façade rappelle le souvenir et les bienfaits du fondateur du village (fundator et insignis benifactor hujus ecclesiae). Elle porte la date de son décès : 1er août 1509.

L'intérieur du temple a grande allure, avec ses larges arcades en ogive, ses hautes colonnes adossées des transepts et son riche mobilier.

Le chœur est décoré d'un autel en marbre de la Renaissance, encadrant une Assomption de G. De Crayer, composition séduisante, d'un beau coloris.  L'autel est une œuvre de Luc Faydherbe.

D'après les comptes de l'église de 1652-1655, le tableau de De Crayer fut payé 108 livres 6 escalins 8 gros, non compris les frais de transport.

Les stalles ornées de balustres et de jolies sculptures, ont été exécutées par Jacques Sauvage en 1644 (2).

Cet artiste gantois a fourni aussi à l'église le banc de communion et les confessionnaux, de même que le tabernacle du maître-autel, qu'il exécuta avec la collaboration de Servais Manilius.

Dans le déambulatoire, on admire, outre quatre paysages religieux (école italienne), un Saint-Sacrement, avec fleurs et raisins, de I.-D. Mangeler (1697), et un excellent tableau de Daniel Seghers, la Sainte Famille dans une guirlande de fleurs.

On a installé dans cette partie de l'église une restitution de la pierre tombale qui recouvrais jadis la tombe de Jérôme Lauweryn, dans le chœur.  C'est une dalle en pierre de Tournai, sur laquelle Lauweryn est représenté en chevalier à côté de sa femme, tous deux dans l'attitude de la prière.  Lorsqu'on refit le payement de l'église, vers 1893, il ne restait que quelques fragments de cette pierre. Ces fragments furent réunis et complétés par un artiste gantois, M.R. Rooms.

Chose curieuse, les murs du tombeau sont décorés de fresques, représentant saint Jérôme, patron du défunt, et saint Christophe, protecteur du polder.  De nos jours, il n'y a plus, sur le tombeau, qu'une petite plaque de marbre enchâssée dans le pavement et portant : Hic Laurin (3).

Les autels latéraux sont décorés chacun d'une toile, une Présentation au temple, signée Henri Des Garden, et le Martyre de saint Sébastien. Ces peintures ont beaucoup perdu de leur coloris.

La chaire de vérité est une œuvre remarquable du sculpteur H. Pulinx (1726). De même que les stalles, elle porte les armoiries des Lauweryn et elle aura été offerte à l'église par cette famille, comme la plupart des œuvres d'art qui la décorent.  La chaire représente le Jugement dernier.  Elle est d'une architecture élégante, d'une exécution admirable et ornée de figures artistement sculptées.  Des angelots soutiennent d'une façon curieuse le baldaquin.

Le jubé, daté de 1649, déploie au fond de l'église sa décoration riche et abondante.  C'est encore une œuvre faisant honneur au talent du "menuisier" Jacques Sauvage.  Le soubassement du jubé abrite deux vieux troncs.

Il nous reste à visiter les bas-côtés, dans lesquels sont appendus deux triptyques du XVIe siècle, dont les volets sont ornés extérieurement de peintures en grisaille.

L'un a énormément souffert d'une restauration maladroite, au point qu'il n'est plus possible de se rendre comte exactement de sa valeur primitive.  Il représente le Martyre de saint Sébastien et a été attribué à Jean Metsys.

L'autre moins endommagé, est une œuvre de tout premier ordre et semble, d'après un compte de restauration datant de 1665, être un authentique Quentin Metsys (1466 - 1530).  C'est une peinture digne d'un grand musée et qu'on est tout surpris de découvrir ici.

Le panneau central surtout est du plus haut intérêt et rappelle, dit-on, la Descente de Croix de Roger Van der Weyden, qui est à l'Escurial à Madrid.  La couleur est superbe, les figures sont bien peintes et bien groupées.  Toute l'œuvre est exécutée avec la maîtrise qui caractérise les grands primitifs flamands.

Un critique d'art averti a signalé parmi les parties restées intactes du tableau "les cheveux d'un fini adorable de la Madeleine, dont on doit admirer aussi le dessin et la coloration exquise de ma manche et le brocard d'or de la robe".  A signaler encore, dit-il, "la tête de saint Joseph, d'Arémathie, certaines parties du saint Jean, les mains du Christ du volet gauche et une tête que l'on croit être celle du donateur Lauweryn (4)".

Le triptyque de Quentin Metsys a été exposé à Bruxelles en 1898, à l'époque où il a été restauré par Louis Lampe (5).  La restauration coûta 7,000 francs, dont 3,200 francs payés par l'Etat et 500 par la province.

Pendant la guerre récente, ce tableau a été mis en sûreté en Hollande.

Les vitraux sont modernes.  Ils sont l'œuvre de MM. C. Ganton, J. De Dobbelaere et A. Casier.

Combien il est regrettable que l'église ne soit pas restée en possession de toutes ses richesses anciennes ! 

Les lambris des nefs ont été vendus à vil prix.

D'après le compte de 1665 que j'ai cité, l'église a possédé une œuvre remarquable de Jean Van Eyck, représentant la Vierge, saint Jérôme et saint Donat.  Cette peinture, aliénée au prix de 5,000 francs a été léguée au Musée d'Anvers, en même temps que d'autres tableaux, par le chevalier Fl. Van Ertborn.

L'église possède encore les volets du triptyque de l'ancien maître-autel.  Ces volets sont actuellement dans l'atelier d'un artiste gantois, chargé de la restauration des tableaux de l'église, M. Ferd. Aelman.

Dans la sacristie, on remarque un prie-Dieu de 1614 et deux beaux ornements brodés, un ornement rouge du XVIe siècle et un blanc du XVIIe siècle.  Le premier ¾ tout à fait remarquable ¾ a malheureusement été banalisé par un restaurateur ignare, comme celui de Sterrebeek (Brabant).

La collation de cure appartenait anciennement à l'abbaye de Saint-Bavon, qui l'avait reçue en 1226 du seigneur du village.  Une partie des dîmes revenait au chapitre de Tournai.  Après la reconstruction du village, des contestations surgirent au sujet du partage des dîmes entre le seigneur et ces institutions religieuses, mais un accord fut réalisé.

Le presbytère, situé sur la place, date de 1774.  Il a conservé des modestes salons des motifs décoratifs remontant à cette époque.

* * *

Watervliet a compté 2,800 habitants, mais il en a perdu environ 300 le long de la frontière, à cause de la longue occupation de celle-ci par les Allemands.

Le territoire de la commune, très étendu (2,107 hectares), est semé de fermes prospères et de hameaux.

L'agglomération principale respire le bien-être. Elle échelonne le long d'une large rue, tronçon de la route Eecloo-Ysendyke-Breskens, une double rangée de maisons basses et proprettes, sans prétentions. La place forme un coin séduisant, avec les marronniers qui l'ombragent.

D'après la tradition, la première kermesse aurait eu comme origine une procession de pénitents (boetprocessie) organisée chaque année, pour que le village soit préservé du fléau des inondations. Cette procession parcourait les digues des divers polders et se terminait que vers deux ou trois heures de l'après-midi. Des échoppes, où l'on vendait des couques et de la viande, étaient échelonnées sur le parcours.

La population montre, paraît-il, beaucoup d'indépendance de caractère.

J'en ai dit assez, je pense, pour engager les touristes à aller admirer ce village ignoré, où d'anciens maîtres épris d'art ont laissé tant de souvenirs de leur munificence et de leur bon goût.

ARTHUR COSYN.
 

(1) Cet acte et celui de l'an 1500 ont été publiés par MM. F. De Potter et J. Broeckaert, dans Geschiedenis van de gemeenten der provincie Oost-Vlaanderen (1871). J'ai fait maints emprunts à cet ouvrage.
(2) Jacques Sauvage exécuta aussi maints travaux de sculpture et de menuiserie sculptée pour d'autres églises des environs : Oost-Eecloo, Ursel, Assenede, Saffelaere, Desteldonck et Stekene.
Il obtint la franchise des menuisiers de Gand en 1617 et fut plusieurs fois juré de sa corporation.
Il fut le chef d'une lignée artistique : Deux de ses fils et trois de ses petits-fils furent comme lui des sculpteurs de talent. (Victor vander Haeghen, Biographie Nationale.)
(3) Il existe dans le chœur trois tombes d'une personne et une de sept personnes.  Les trois premières sont celles de Jérôme Lauweryn et de son fils, ainsi que du curé Adrien Wittooghe, décédé en 1510. Les corps groupés doivent être des membres de la famille Lauweryn.
(4) L. Maeterlinck, Flandre libérale, 19 septembre 1898. — Voy. aussi dans ce journal son article du 16 juillet 1893.
(5) Etoile Belge, 31 août 1898. — Journal de Bruxelles, 1er septembre 1898.

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